Au procès des viols de Mazan, un expert psychiatre estime qu’il n’y a pas de profil d' »abuseur sexuel » parmi les sept derniers accusés

France Télévisions

Publié le 14/11/2024 10:23

Temps de lecture : 5min

La salle d'audience du tribunal judiciaire d'Avignon (Vaucluse), le 6 novembre 2024. (ANNA MARGUERITAT / HANS LUCAS)

L’expert Philippe Darbourg n’a pas non plus décelé chez ces hommes, âgés de 30 à 69 ans, « de tendances déviantes ou perverses ». Pourtant, deux accusés sont aussi poursuivis pour détention d’images pédopornographiques.

Y’a-t-il un profil type du violeur ? Des critères objectifs permettant d’estimer qu’une personne est capable de passer à l’acte ? Le 7 novembre, l’expert psychiatre Laurent Layet a livré son analyse devant la cour criminelle du Vaucluse, observant que « la plupart des accusés n’ont pas le profil criminologique de violeurs en série ». Pour autant, ils ne peuvent pas être « catégorisés comme des hommes ordinaires », étant donné que « le passage à l’acte lui-même fait passer l’individu dans une autre catégorie ». Laurent Layet, qui a expertisé la moitié des 51 accusés du procès des viols de Mazan, a précisé que l’évaluation de la dangerosité d’une personne restait un exercice « extrêmement complexe ». 

Le sujet est revenu au centre des débats, mercredi 13 novembre, au moment des expertises psychiatriques des sept derniers accusés du procès, réalisées par le Dr Philippe Darbourg. Cet expert de 75 ans, dont quarante d’expertises pour les tribunaux, n’a décelé chez aucun de ces hommes, âgés de 30 à 69 ans, « de tendances déviantes ou perverses ». Deux de ces accusés, Christian L. et Nicolas F., sont pourtant également poursuivis pour détention d’images pédopornographiques. 

Le président de la cour criminelle du Vaucluse lui transmet ces informations, auxquelles l’expert n’avait manifestement pas eu accès au moment de son examen. « Est-ce que cela peut faire varier vos observations ? », lui demande le magistrat à propos de Nicolas F., ancien journaliste de presse locale dans le Vaucluse, chez qui les enquêteurs ont retrouvé plus de 200 vidéos mettant en scène des mineurs. « Ça confirme la notion d’une sexualité incertaine, avec des conduites exploratoires », répond laconiquement l’expert. 

Autre conclusion du psychiatre, commune aux sept accusés : aucun n’apparaît « comme un abuseur sexuel ». Pour le moins dubitatif, Stéphane Babonneau, l’un des avocats de Gisèle Pelicot, s’est employé à questionner cette analyse, à l’issue de chacune des sept expertises. « Est-ce que, pour être défini comme un abuseur sexuel, il est nécessaire d’avoir un passif de frustration identifié ? », interroge-t-il, observant « des hommes qui, jour après jour, disent : ‘Je ne suis pas un violeur’, comme si un violeur était taraudé de passions, d’obsessions ». 

L’expert explique s’appuyer sur « des éléments cliniques » et « des dispositions psychiques, voire des pathologies » pour définir le profil éventuel dudit « abuseur ». « Je n’en ai pas trouvé » chez ces sept hommes, répète-t-il. 

« Cette notion m’apparaît périmée et peut-être même dangereuse. » 

Stéphane Babonneau, un des avocats de Gisèle Pelicot

devant la cour criminelle du Vaucluse

« Si dans notre dossier on n’avait pas ces vidéos, l’affaire se résumerait à du parole contre parole, et votre conclusion serait un argument important pour la défense », pointe Stéphane Babonneau à l’issue de la sixième expertise. « Elle dirait : ‘Vous voyez, l’expert le dit, ce n’est pas un abuseur sexuel' », ajoute-t-il. 

Questionné sans relâche par le conseil de la partie civile, le psychiatre finit par apporter une nuance, reconnaissant qu’il aurait sans doute « dû préciser qu’on n’avait pas affaire à des prédateurs sexuels, mais à des hommes qui, dans des circonstances très particulières, ont commis des abus sexuels »

Il termine sa déposition avec l’expertise de Charly A., 30 ans, accusé d’être venu six fois au domicile du couple Pelicot, entre janvier 2016 et juin 2020. Stéphane Babonneau revient à la charge, notant que le psychiatre a lié la notion « d’abuseur sexuel » avec « la répétition de faits ». « Comment conclure qu’il n’apparaît d’aucune façon comme un abuseur sexuel ? », insiste-t-il. 

« Il ne paraît pas rechercher systématiquement des situations d’agression sexuelle comme un agresseur sexuel », avance l’expert. « Six fois, ce n’est pas récurrent ? », s’agace le conseil de la victime. « Ce sont six fois dans des conditions très particulières : il a eu du mal à prendre conscience de sa responsabilité », considère le psychiatre, notant que le jeune homme lui a affirmé « avoir compris tardivement que Dominique Pelicot avait fait endormir sa femme ». 

Son analyse fait écho à celle de l’un de ses confrères, le Dr François Amic, qui a déposé devant cette même cour, estimant que les 10 accusés qu’il a examinés ont sans doute été manipulés par Dominique Pelicot. « A mon avis, il y a eu un mensonge : monsieur Pelicot n’a dit à personne que sa femme était droguée », a affirmé l’expert psychiatre début octobre, s’opposant fermement à l’idée que les accusés seraient allés à Mazan en sachant que la victime était droguée. « Je pense que la plupart des mis en cause étaient fascinés, un peu dans un état second », a-t-il fait valoir, suscitant une vague de réprobation du côté de la partie civile, comme de Béatrice Zavarro, l’avocate de Dominique Pelicot. 

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